Prise de position par Guy Foetz lors de la réunion du conseil communal du 13-06-2016
En guise de préparation de la présente réunion du conseil communal, 6 réunions de la Commission du Développement urbain ont été organisées. Ces réunions ont été très instructives; elles ont montré les efforts énormes qui ont été accomplis par les service de la Ville et aussi les consultants extérieurs. Il faut leur dire “chapeau”!
Nous voudrions pourtant remarquer que les conseillers et les membres de la commission de développement urbain n’ont eu accès que la semaine passée à la multitude des documents et qu’il nous était impossible d’étudier tout en détail. Or de nombreux documents étaient terminés bien avant et ils auraient pu être communiqués beaucoup plus tôt, étant donné qu’ils étaient inoffensifs d’un point de vue discrétion. De même l’établissement des études préparatoires aurait présenté une occasion pour d’intégrer les conseillers et les citoyens en général dans la fixation des objectifs et la planification. C’est une occasion manquée en matière de démocratie de base.
Soit! Bien que les décisions majeures aient été prises bien avant, on peut quand-même affirmer que lors des 20 heures de durée de ces 6 réunions les problèmes qui se présentent en relation avec l’établissement du nouveau PAG de la Ville ont pu être discutés.
Et au centre de ces problèmes figure évidemment la croissance ultrarapide de la ville au niveau de la population et plus encore au niveau des emplois.
De 110.000 habitants en 2016; la ville évolue vers 150.000 en 2030 et 176.000 au-delà et de 150.000 emplois en 2012, on s’aventure vers 220.000 en 2030 et 260.000 au-delà.
Ces chiffres présentent un rapport emplois/habitants qui augmente encore au-delà de 2030, ce qui signifie que le nombre d’emplois créés en ville dépassera de plus en plus le nombre des habitants. Il en résultera un nombre croissant de navetteurs et donc un trafic entrée-sortie en constante augmentation. A noter qu’en 2012 déjà, seulement 14% des 150.000 emplois en ville étaient occupés par des habitants de la ville.
Tout au long des 6 réunions de la Commission de Développement urbain, le déficit notoire de logements par rapport au nombre d’emplois a été perçu par tout le monde comme un problème énorme et la promotion du logement en ville semble maintenant devenue une priorité. éi Lénk disent cela depuis des années.
En revanche, la très forte croissance, qui est fondamentalement à l’origine du déficit en logements et de l’augmentation massive du trafic automobile, continue d’être soutenue de tout bord.
Depuis que les Verts sont au gouvernement, plus aucun parti politique, sauf déi Lénk, ne met en question cette croissance fulgurante, avec l’argument qu’ elle serait necessaire pour maintenir notre modèle social. Or il faut constater que bien malgré cette forte croissance, les inégalités ne cessent de se creuser et que 16,4% de nos concitoyens sont soumis au risque de pauvreté. Nous pensons donc que la solution pour maintenir notre modèle social se trouve plutôt du côté d’une meilleure répartition des revenus et des richesses.
Même si le Ministre Bausch déclare que la croissance ne serait pas le problème, mais plutôt la gestion de cette croissance; même si Madame la Bourgmestre se donne rassurante en disant que le nouveau PAG permettrait d’éviter une une baisse de la qualité de la vie, nous restons très sceptiques à ce sujet.
N’empêche que nous pouvons et devons constater que cette croissance a été très mal gérée à Luxembourg-Ville au cours des 40 dernières années. La création de ZAC tout autour de la ville, la propagation massive de surfaces de bureaux dans les zones mixtes et même dans les zones d’habitation. le manque de logements sociaux et la montée en flèche des prix et des loyers, la situation catastrophique du trafic; l’absence de structuration de nombre de quartiers, qui ressemblent à un amalgame incohérent sans véritable centre ni espace de convivialité: tout cela témoigne d’un manque flagrant de planification urbanistique.
Ce manque, dont les conséquences ont été régulièrement montrées du doigt lors des réunions de dialogue sur le nouveau PAG organisées en 2014, résulte essentiellement de la mentalité de ceux qui ont dirigé cette ville.
D’après cette mentalité, il faut laisser décider le marché; en d’autres termes les promoteurs et les propriétaires immobiliers.
Cette mentalité prévaut chez les responsables du parti libéral – mais aussi du CSV – et les Verts ne s’y sont pas opposé au cours des 11 dernières années.
Cette mentalité a eu pour conséquence que le court terme et les intérêts immédiats des promoteurs ont déterminé le développement de notre ville pendant des décennies.
– L’exemple du Ban de Gasperich est typique. Ce projet est en train de dévorer l‘une des dernières grandes réserves de terrains constructibles en ville.
Or dans ce projet, le problème crucial de la pénurie de logements a été totalement négligé.
A l’époque, l’ancien bourgmestre Helminger déclarait: „les logements prévus à cet endroit ne sont pas appropriés pour les familles nombreuses“. Madame Polfer a répondu début mai 2014 à une question de déi Lénk que le PAP prévoit effectivement des logements moins spacieux, mais qu’il n’est pas exclu que des familles avec enfants puissent venir s’y installer. Elle a encore ajouté que d’après les analyses faites par les services concernés de la Ville, les infrastructures actuellement prévues en écoles, crèches et foyers scolaires à Gasperich seraient suffisantes.
Plus récemment encore, Madame Beissel a avoué ici que la Ville ne saurait pas quels logements sont construits sur le Ban de Gasperich.
Il y a deux semaines, on nous a appris que le promoteur aurait décidé de construire beaucoup plus de logements que prévu, probablement parce que du fait de la pénurie de logements, ils se vendent comme des petits-pains et à des prix élevés. La Ville se trouvera donc bientôt obligé de prévoir de nouvelles infrastructures scolaires. Dans ce sens, le nouveau PAG prévoit un emplacement à l’issue de la rue Hogenberg.
Ce cas typique montre bien que finalement, c’est le promoteur qui décide de ce qui se passe réellement.
– Autre exemple : le nouveau PAP Kennedy Sud – Zone A1, voté le 21 mars dernier laisse la marge au promoteurs d’aménager dans les futures tours entre 165 et 309 unités de logements. Nous ne connaissons ni le nombre exact de logements, ni le type de logements qu’il va créer. Ainsi tout est possible, même des mini studios pour personnes, qui le cas échéant ne résident en ville que pendant la semaine. Comment veiller alors à une bonne mixité de logements en incluant notamment des familles et des logements communautaires ?
– Le « Royal Hamilius », qui remplace la gare d’autobus au Centre-Ville – une réelle chance pour les transports en commun – par un complexe commercial de luxe est une autre aberration de la politique menée par la majorité actuelle.
Le périmètre d’agglomération de la ville contient actuellement encore 27% (550 ha) de réserve. Mais les prévisions jusqu’en 2030 et au-delà font prendre conscience de 2 choses:
a. la croissance extrême que le nouveau PAG est supposé gérer, s’attaque aux dernières réserves foncières de la ville;
b. à défaut d’un changement fondamental au niveau du modal split, les flux de trafic deviendront ingérables, même si on tient compte de certaines extensions routières, comme le boulevard de Merl (dont le début de construction était prévu pour début 2016 déjà). À Luxembourg-Ville, on passerait en effet de 730.000 déplacements par jour actuellement à plus de 1 million de déplacements journaliers en 2030.
Il résulte de tout cela:
1. qu’une planification urbanistique et sociale à long et moyen terme est indispensable pour faire face aux besoins en logements et en infrastructures scolaires, culturelles et sportives d’une population beaucoup plus importante qu’avant;
2. qu’une stratégie de réduction massive du trafic automobile et de développement des transports en commun ainsi que de la mobilité douce s’impose.
Nous pensons que le nouveau PAG, qui a été élaboré avec grand engagement et compétence, contient de nombreux éléments positifs et des améliorations importantes – souvent revendiquées de notre part -, qui vont dans le sens d’une meilleure planification.
Ainsi notamment, de manière générale :
– il dresse un relevé minutieux de la situation existante à de multiples égards ;
– il prescrit des pourcentages minima de logements dans les zones mixtes des nouveaux quartiers et il veut y prévoir un commerce de proximité;
– il étend les secteurs protégés et il intègre 500 immeubles supplémentaires dans les ensembles sensibles;
– il prévoit des servitudes « couloir de verdure » pour le maillage futur des espaces verts et l’accueil de chemins piétons et cyclables et il fait des propositions concrètes pour améliorer la qualité des trottoirs.
Deux exemples significatifs particuliers méritent d’être cités :,
– le projet de PAG sous revue classe le fonds St Martin à Weimerskirch en Hab1, évitant ainsi la défiguration de cette rue, marquée par d’anciennes maisons unifamiliales ;
– il barre la route à prolongation de la rue Hogenberg à Gasperich, qui aurait drainé le trafic vers le centre de ce quartier.
Il faut remarquer pourtant que nombre des nouveaux éléments de planification inclus dans le PAG sous revue ont été imposés par la loi et ne sont pas dus à l’initiative du collège échevinal.
C’est notamment le cas pour la SUP (loi de 2008) ou encore pour le schéma directeur qu’il faut établir pour chaque nouveau quartier (loi de 2011). Un tel schéma définit les objectifs de développement du nouveau quartier, sa densité, ses fonctions, son efficience énergétique et ses relations avec d’autres quartiers; il formule un concept de mobilité; Il évalue, combien de nouveaux logements pourront y être construits ; il réserve des terrains pour des infrastructures scolaires ou pour le commerce de proximité, etc. Il facilitera ainsi la mise e oeuvre des futurs PAP.
Malheureusement, on n’a pas demandé notre coopération pour l’établissement des critères sur lesquels sont basés ces schémas directeurs. Nous ne connaissons même pas ces critères.
Malgré ce manque évident de démocratie pratique, nous notons que le nouveau PAG pourrait changer le cours des choses en matière de logement et de mobilité, à condition que la majorité actuelle rompe avec l’esprit du laisser-faire traditionnel.
Sinon, le nouveau PAG n’aura été qu’un pur exercice administratif d’adaptation de l’ancien Plan Joly à la réglementation et au nouveau langage imposés par la loi.
Lors de l’une des 6 réunions de la Commission du Développement urbain, Madame Polfer a noté de manière très diplomatique: “Decisiounen goufen virun enger Rei vu Joeren geholl, wou mer eis elo froen: Wéi maache mer et besser?” Elle a aussi reconnu qu’il faudrait à l’avenir éviter de construire d’abord et de prévoir ensuite l’infrastructure nécessaire pour assurer la mobilité (tel que c’est le cas au Ban de Gasperich).
Elle est donc bien consciente des manquements du passé. Aussi a-t-elle déclaré récemment que développer le logement serait à présent une priorité du PAG, étant donné que chaque habitant supplémentaire en Ville signifierait un véhicule de passage en moins.
Par contre, quand on lui demande de mettre la pression pour que les propriétaires et les promoteurs, qui détiennent 90% des terrains contructibles, réalisent les PAP votés, elle rétorque qu’il faut prendre son temps et ne pas bousculer les gens.
À entendre cela, on peut fortement douter que la majorité actuelle ait une vision politique de développement actif de la ville suivant les préceptes du PAG.
On doit craindre au contraire que le nouveau PAG risque de rester lettre morte face aux démons libéraux que la majorité actuelle adore.
Une telle crainte est fondée.
En effet, si l’on se réfère à la politique du logement:
– Il reste à clarifier si un minimum sera aussi réservé aux logement dans les zones mixtes des quartiers existants – d’après la nouvelle procédure, c’est le collège échevinal et non le conseil communal qui en décide;
– les îlots D,E,F et H non encore construits du nouveau quartier Ban de Gasperich, manquent toujours de surface obligatoire réservée au logement;
– le fait que le PAP de la Place de l’Étoile, approuvé par le conseil communal en juillet 2010, n’ait toujours pas été mis en exécution, et que la Ville n’intervienne pas avec les moyens que la loi met à sa disposition, par exemple la taxation des terrains, ne inspire pas confiance ;
– le fait que la Ville construit par-ci,-par là quelques logements sociaux et qu’elle respecte le minimum légal des 10% de logements à coût modéré dans les PAP au-delà d’un ha, ne change rien à la pénurie manifeste de logements en ville pour des ménages à revenu faible ou moyen.
– la récente convention que la Ville a conclue avec la famille Boch au sujet de l’ancienne friche est symptomatique de l’écart entre les déclarations et la réalité: la Ville acquiert bien une moitié du terrain à un prix raisonnable, mais en reclassant l’ancienne friche, elle permet au baron de financer la décontamination de celle-ci à travers la vente à prix d’or de l’autre moitié du terrain, dont il reste propriétaire. Comment réaliser sous ces conditions les revendications des habitants des quartiers de Mühlenbach et Rollingergrund d’y créer des logements pour jeunes et étudiants, d’y prévoir un espace culturel, une bibliothèque de quartier, ou encore de mettre en place un parc avec une piste cyclable le long de la Millebach, renaturée et non enfouie sous 7 mètres de débris industriels contaminés. Le schéma directeur “Nouveau quartier-Rollingergrund V&B” inclut nombre de ces revendications, mais sa réalisation reste illusoire face aux intérêts de l’ancien industriel, qui veut surtout monnayer ses terrains.
En se tournant ensuite du côté de la politique de mobilité et il faut constater que l’augmentation du trafic automobile, qui résulte de la forte prédominance des emplois par rapport aux logements, n’est pas réellement combattue.
– Il est significatif à ce sujet que le règlement des bâtisses, voté parallèlement au nouveau PAG, continue de prévoir dans son article 17, un minimum d’emplacements de stationnement obligatoires sur la propriété, malgré le fait qu’une telle mesure attire le trafic et renchérit la construction. En s’abstenant d’incrire un tel minimum obligatoire dans le règlement des bâtisses, on aurait donné un signal fort à l’encontre du trafic automobile en ville. déi Lénk ont déposé une motion dans ce sens.
– Madame l’échevine Sam Tanson ne cesse de mettre en évidence le tram comme la “grande machine” permettant de s’attaquer au problème du trafic. Il est vrai que le tram, que déi Lénk ont par ailleurs toujours soutenu, est bien le mérite des Verts et constituera une avancée majeure – malheureusement il arrivera 10 ans trop tard !
Mais croire qu’il résoudrait les problèmes de mobilité en ville est une illusion.
Nous pensons que les autobus devront jouer un rôle capital dans le changement du modal split. Or le fait que le collège échevinal préfère recruter des chauffeurs d’autobus à durée déterminée, faute d’un concept sur le rôle des autobus lors de l’arrivée du tram, ne nous rend pas optimistes.
Notre conclusion est la suivante:
1. déi Lénk considèrent que le nouveau PAG proposé constitue un progrès majeur par rapport au Plan Joly. Si nous nous abstenons aujourd’hui, c’est que nous n’avons pas pu participer aux études préparatoires, ni avoir eu à disposition suffisamment tôt de très nombreux documents. Nous n’avons donc pas pu participer à l’élaboration des objectifs et mesures, ni nous rendre compte des détails.
Nous regrettons aussi que le nouveau PAG ne regarde pas au-delà des limites communales et qu’à fortiori il n’invoque pas les plans sectoriels. Par manque de temps, nous n’avons pas peu insister ici sur cette problématique , mais nous croyons qu’elle est essentielle -Nous aurions préféré attendre la parution des nouveaux plans sectoriels avant de clôturer le nouveau PAG.
2. Des déclarations de bonnes intentions ne permettront pas de maîtriser la forte croissance et ses conséquences que sont la pénurie de logements et le trafic automobile toujours plus important.
A moins de pratiquer réellement une stratégie de développement plus dirigiste, tant les habitants de la ville que les navetteurs seront confrontés bientôt à une une perte massive de leur qualité de vie.
Finalement nous voudrions exprimer trois souhaits au sujet des prochaines réunions de quartier :
– il faut éviter de se perdre dans les détails techniques, mais exposer clairement les objectifs et les implications aux citoyens, et leur donner l’occasion d’y réagir ;
– il faut détailler clairement la procédure de réclamation et rendre notamment attentif au fait que le dépôt d’une réclamation à la commune est une condition pour pouvoir réclamer ultérieurement auprès du ministre de l’Intérieur ;
– il faut miser sur une bonne coopération avec les syndicats d’intérêts locaux, puisqu’ils connaissent parfaitement problèmes qui se présentent dans les quartiers respectifs.
Luxembourg, le 13 juin 2016